Championnats Le 8 Ultime - Féminin

Le vocabulaire sportif est souvent truffé de références à la guerre alors que les commentateurs cherchent à illustrer l'action qu'ils décrivent pour engager les téléspectateurs. Les équipes se livrent « la bataille » les unes avec les autres, les longs cogneurs, les golfeurs et les tireurs à trois points « réalisent des bombes » et le flux de l’action est souvent décrit sous forme « d’attaques et de défensives ». Pour les joueuses de basketball des Pronghorns l'Université de Lethbridge, Viktoriia Kovalevska et Vlada Hozalova, les termes et les phrases ont une connotation particulière, car la guerre est la réalité dont elles ont fui en quittant l’Ukraine pour poursuivre leur développement en basketball.

« J'étais prise au piège à Berdyansk alors que, pendant la première semaine du conflit militaire, les troupes russes occupaient la ville, dit Hozalova. Je ne pouvais pas quitter ma ville parce que c'était dangereux. J’ai seulement pu quitter la ville un mois plus tard, après avoir passé 20 points de contrôle russes. »

Kovalevska et sa famille vivaient à Rivne, dans le nord-ouest de l'Ukraine. Accompagnée de sa mère et son frère, elle a déménagé en Pologne une semaine après le début de la guerre. Ses parents craignaient que leur ville ne soit attaquée par la Russie depuis le nord. Alors que la situation s'aggravait en Ukraine et dans toute l'Europe, ils ont cherché à s'échapper complètement et ont profité de l'occasion pour venir au Canada. De là, ils ont été placés avec une famille à Calgary.

« C'était extrêmement difficile, car vous ne savez pas quand vous pourrez vous revoir, a dit Kovalevska de sa séparation avec les membres de sa famille et ses amis. Nous sommes très inquiets et prions pour leur sécurité, particulièrement pour nos deux meilleurs amis qui protègent notre territoire au sein des rangs des forces armées d'Ukraine. L'un d'eux est en captivité russe depuis cinq mois et nous attendons tous les jours qu'il nous contacte. »

Débarquées dans un nouveau pays, vivant avec une nouvelle famille, apprenant la langue et les coutumes de la société canadienne en plus d’être à des milliers de kilomètres de chez eux, les amies avaient une constante sur laquelle se rabattre, le basketball, ce qui a servi de tremplin vers le prochain chapitre de leur vie. Les gardes ont été membre des équipes nationales U16, U18 et U20 de l'Ukraine et coéquipières au sein de la Superligue féminine d'Ukraine, un circuit professionnel de huit équipes.

« Ils sortaient d'Ukraine et le basketball allait être, et est bel et bien devenue la chose qui les aide à trouver leurs racines dans ce pays, déclare l'entraîneur-chef du programme de basketball féminin des Pronghorns, Dave Waknuk, qui a été le premier à exprimer son intérêt pour le duo quand il est devenu clair qu'elles voulaient reprendre la compétition dans leur nouveau pays. Le basketball est une partie intégrante de leur vie, c'est leur compétence, c'est ce qu'elles savent et ce qu'elles ont apporté avec elles. »

Les premières rencontres ont eu lieu sur Skype et une fois qu’elles se sont installées au Canada, Waknuk a pu les accueillir pour des séances d'entraînement. Il avait des postes à combler au sein de sa formation et l’ajout de joueuses avec un pedigree professionnel est toujours un bonus, mais pour ces deux-là, c'était plus qu'une décision de basketball.

« Nous étions certainement intéressés du point de vue du basketball, dit Waknuk.» Les règles de l'USPORTS permettent trois joueuses internationales par équipe, tandis que l'expérience professionnelle est autorisée pour les programmes féminins.

« D’un autre côté, vous pensez à l'incidence positive que leur histoire peut avoir sur notre communauté et évidemment à l'influence que nous pouvons avoir sur eux et sur leur vie. C'était juste logique et nous nous sommes dit, comment pouvons-nous ne pas le faire? »

Dave Waknuk - Entraîneur en chef

Par chance, l’Université de Lethbridge venait d'approuver une nouvelle bourse d'urgence ukrainienne conçue pour aider les élèves qui étudient actuellement et les futurs élèves dont les parents, en raison de la guerre, n'étaient plus en mesure de soutenir leurs fils et leurs filles. Au total, 10 bourses de deux semestres ont été approuvées, offrant aux étudiants une couverture complète des frais de scolarité et d’un logement. Quatre étudiants actuels et quatre futurs étudiants ont pu profiter du soutien, dont Kovalevska et Hozalova.

« Je ressentais profondément que c’est quelque chose que nous devions faire pour soutenir les étudiants ukrainiens, déclare Paul Pan, directeur des étudiants international. Pour l'université, c'est une bonne chose et c'est quelque chose que nous sommes capables de faire. Nous avons de très bons étudiants ici et ils travaillent tous dur pour bâtir une nouvelle vie et il est même difficile d'imaginer ce qu'ils vivent. C'est ce que nous pouvons faire pour les soutenir et les aider en cours de route. »

Kovalevska (éducation/pédagogie) et Hozalova (éducation physique), qui ont respectivement 23 et 24 ans, ont tous deux obtenu une maîtrise de l'Université pédagogique d'État de Berdyansk en Ukraine. Kovalevska étudie les affaires à l’Université de Lethbridge et évoluera avec les Pronghorns cette saison, tandis que Hozalova doit d'abord terminer le programme EAP (English for Academic Purposes) avant d'être admissible.

Waknuk est reconnaissant pour tout le soutien offert pour que le projet puisse se concrétiser. De la famille d'accueil à la communauté ukrainienne locale, en passant par le bureau international de Pan et l'administration supérieure de l’Université de Lethbridge, cela a permis à deux joueuses de jouer au sport qu'elles aiment et de commencer à établir des racines dans leur nouveau pays. Il s'émerveille aussi de la façon dont le sport leur a permis de se connecter alors que parfois les barrières de langues et culturelles se mettent en travers du chemin.

« La belle chose dans tout cela, c'est la perspective universelle du sport qu’elle nous offre, dit-il. Quand nous avons commencé les conversations, nous avons eu du mal à échanger sur les jours de la semaine ou du temps qu'il faisait, mais à la minute où j'ai commencé à parler de basketball, ou quand on parlait de stratégie, nous avions ce langage commun. Même maintenant, avec leurs coéquipières, le moyen le plus simple pour eux de tisser des liens est grâce au sport. »

Pan et Waknuk ont noté à quel point Kovalevska et Hozalova sont reconnaissantes pour l'occasion qui leur a été accordée, en tant qu'athlètes et en tant qu'étudiants. Ils remarquent aussi à quel point la communauté universitaire a de la chance de les avoir sur le campus.

« C'est plus grand que le basketball. Le basketball est évidemment central pour elles, mais il y a tellement plus à faire, dit Waknuk. Je suis excité pour eux et je suis excité pour mon équipe parce que c'est un si grand message de bienveillance et de compassion. »