Cross-Country Masculin Nouvelles

Il aurait dû être en train de courir.

Son horaire d’entraînement prévoyait une autre course en après-midi, mais l’entraînement allait bien. Le coureur des Dinos de Calgary a donc décidé de ne pas participer à sa deuxième course de la journée pour fêter un peu les vacances.

« Juste une petite dernière» a pensé Lutz alors qu’il conduisait le nouveau véhicule tout-terrain (VTT) de son père en décembre dernier.

Un mois plus tôt, Lutz avait décroché la neuvième place au Championnat de Cross-country U SPORTS. Ce résultat a non seulement consolidé sa réputation de coureur universitaire d’élite au Canada, mais a également aidé les Dinos de Calgary à remporter son tout premier titre national de cross-country.

Son père lui a dit de faire attention et, malgré le fait d’être plus mature depuis l’école secondaire, Lutz ne portait pas sa ceinture de sécurité alors qu’il conduisait dans la neige et la boue avec son frère dans sa ville natale de Red Deer, en Alberta.

Dérivant sur les routes bouetteuses, Lutz prenait de plus en plus de confiance dans les virages. Il était dans la meilleure forme de sa vie et il avait finalement redécouvert son amour pour la course à pied. Le jour où il a décidé de faire cette dernière promenade dans la neige. Lutz n’a pas vu la glace quand il a décidé de peser sur l’accélérateur dans un virage.

« Au moment où j'ai tourné le volant, je savais que l’on allait renverser, puis nous avons fait quelques tours » explique Lutz, en réfléchissant neuf mois après l’accident. « Et comme je n’avais pas ma ceinture de sécurité, j’ai été éjectée par la vitre du côté et la cage de retournement m'a écrasée. »

Eric Lutz

Lutz s’est fracturé les vertèbres C2, C3, C4 et C5 et s’est cassé deux transverses des vertèbres dans le dos, l’immobilisant pendant 12 semaines.

Il s’agit de la meilleure chose qui lui soit arrivée de sa vie.

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Lutz a découvert son talent à la course grâce à sa mère, elle-même coureuse qui participait à des courses sur route de 10 km. Lutz jouait aussi au soccer à l’époque, mais se retrouvait toujours dans le top 3 des courses de cross-country où sa mère l’inscrivait. Il a finalement décidé de se concentrer principalement sur la course à pied une fois rendue au secondaire.

Dans ses années en début de secondaire, Lutz s’entraînait avec les plus vieux de l’école secondaire de sa région à Red Deer, âgés de deux à cinq ans de plus que lui. Il est rapidement devenu accro au sport dès son jeune âge.

Mais alors qu’il commençait à perfectionner son talent et voyait ses résultats à la hausse, Lutz commençait à se sentir en «burn out»–expression anglaise utilisée par les médecins du sport qui décrit un athlète qui abandonne un sport avant l’atteinte de son potentiel, en raison de son épuisement mental et physique. Il a lâché le sport en secondaire 5.

La spécialisation dans le sport précoce–une tendance qui cause une baisse de la participation sportive des jeunes et qui a comme définition l’entraînement de neuf mois ou plus exclusivement pour un sport–est l’un des principaux facteurs qui expliquent pourquoi les jeunes athlètes s’épuisent avant même avoir atteint l’université.

Un sondage réalisé en 2016 par National Alliance for Youth Sports a révélé qu’environ 70% des enfants aux États-Unis cessaient de faire du sport organisé à l'âge de 13 ans, car «ce n’est tout simplement plus amusant». En 2018, en C.-B., le football a vu ses effectifs diminuer de 7%, et une étude réalisée en 2017 par Aspen Institute a enregistré une baisse de 23,5% du nombre de joueurs de soccer américains âgés de 6 à 12 ans sur une période de cinq ans.

« Je n’aimais pas ça, je pensais que c’était fini, je ne le faisais plus pour le plaisir », explique Lutz au sujet de la course au niveau secondaire. « J’ai pris deux ans de congé, je n’ai pas fait ce qu’il y a de mieux pour la santé, j’ai fait beaucoup la fête et j’ai fait tout ce qu’un coureur ne devrait pas faire. »

Lutz admet qu’il avait du potentiel au niveau secondaire et que son objectif était de courir au niveau universitaire dans la NCAA, mais il se sentait emprisonné par les attentes qu’il s’imposait de se montrer à la hauteur.

« J'ai laissé la pression m’atteindre. J’ai commencé à me demander, et si je ne suis pas pris dans une école de la NCAA? » … C’était mon objectif, j’ai mis la barre très haute, et au final la pression m’a abattu », déclare Lutz. « Ce n’était pas les attentes que j’avais pour moi-même, c’était plutôt l’apparence auprès des autres qui m’affectait. »

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Après deux années d’absence, Lutz s’est inscrit à l’Université de Calgary et a lentement retrouvé la forme. Il a terminé 27e à sa première année au Championnat de cross-country U SPORTS en 2017 et pense que la neuvième place de l’année dernière a été le moment où il a enfin eu le sentiment qu’il était « complètement de retour ».

À peine un mois plus tard, cependant, après la meilleure course de sa carrière universitaire, Lutz a été écrasé par la cage de retournement du VTT de son père, le remettant en pause pour une deuxième fois de sa carrière à l’âge de 21 ans. Mais Lutz a déclaré que ce retour fut nettement plus facile que le premier pour regagner la forme.

« Le temps passe si vite, et si je faisais tout ce que je devais faire ce mois-là–que ce soit pour les travaux scolaires ou pour la course à pied, comme les étirements, me rouler, ou le gainage–le mois passait en un instant. Si je cochais une tâche à la fois sur la liste de choses à faire, j’améliorais mon fitness tous les jours de manière automatique ».

Terry Crook, l’entraîneur de Lutz chez les Dinos, a été l’une des principales influences qui l’a fait changer de mentalité du secondaire à l’université.

Crook a d’abord perçu le potentiel de Lutz en le voyant courir à Red Deer et a tissé des liens étroits avec lui en dehors de la piste. Lorsque Lutz a cessé de courir pour adopter un style de vie de « party », Crook l’invita à rester avec lui et sa famille afin qu'il puisse apprendre les valeurs importantes de la vie.

"Il avait la confiance en soi nécessaire pour courir, mais pas pour ce qu’il y a d’important dans la vie », a déclaré Crook. « J’ai un standard que je répète tout le temps à mes jeunes: c’est la famille, l’école et la course à pied. Je lui ai dit qu’il pouvait être sacrément bon dans ces trois sphères s’il le voulait. »

Sept mois après sa fracture au dos, Lutz était de retour sur la piste et réalisait un record personnel de 11 secondes au 1500 mètres.

« Je pense que dans le fond, ma blessure au dos a été l’une des meilleures choses pour moi–pour mon niveau de course et pour ma vie. »

Eric Lutz

Cependant, Lutz maintient que, sans avoir vécu une autre embuche majeure, et sans devoir subir la longue rééducation et la douleur pour retrouver la forme physique qu’il avait perdue, il ne serait pas l’homme qu’il est aujourd’hui.

Avant sa blessure grave, Lutz se concentrait toujours uniquement sur la course à pied et plaçait l’école, sa vie sociale et, fondamentalement, tous les autres aspects de la vie en second plan. Il manquait l’équilibre, dit-il, et il pense que l’accident lui a permis de renforcer les précieuses compétences de vie que Crook essayait de lui inculquer lorsqu’il était plus jeune.

« Des fois on se retrouve pris dans l’engrenage du sport et la pression de bien faire nous fait oublier la vraie raison pour laquelle on participe », déclare Lutz. « Je pense que dans le fond, ma blessure au dos a été l’une des meilleures choses pour moi–pour mon niveau de course et pour ma vie. »


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